Plateforme travaux publics
Texte de présentation avec Oscarine Bosquet et Sylvie Ungauer
Œuvrer
dans l’espace public
Qu’en
est-il de l’espace public aujourd’hui ? Cet espace où des
individus se rassemblent, échangent et mettent en commun leurs
points de vue pour construire une communauté. Se réduit-il
définitivement au spectacle de la scène politique ?
L’espace
public dans la ville est littéralement devenu celui du commerce et
de l’exposition du capital. La rue n’est plus l’espace de la
rencontre mais celui de la consommation. Et
là où le capital ne se saisit pas de l’espace, la ville produit
des trous, des non-lieux.1
Hannah Arendt
posait la question de la disparition du monde en commun dans La
condition de l’homme moderne
déjà en 1958. « Le monde et les hommes qui l’habitent font
deux. Le monde s’étend entre les hommes et cet entre — bien plus
que les hommes ou l’homme— est aujourd’hui l’objet du plus
grand souci ».2
Elle décrit la perte du monde en
commun qui doit s’étendre entre les humains, les rassembler, les
relier et les séparer en même temps, et elle compare cette perte du
monde en commun dans la société de masse à la disparition de la
table entre les participants d’une séance de spiritisme :
« les personnes assises les
unes en face des autres n'étant plus séparées, mais n'étant plus
reliées non plus, par quoi que ce soit de tangible.»L’œuvre
peut-elle cette table ?
L’œuvre d’art dans l’espace urbain peut-elle être vecteur d’une communauté à venir, en devenir ?
Comment peut-elle échapper à l’effet décoratif dans l’espace de la consommation ou dans certains non-lieux?
Et pourrait-on remplacer le statut de spectateur de l’œuvre par celui d’usager ou d’utilisateur ?
Les œuvres installées dans l’espace urbain doivent-elles être pérennes ?4
L’œuvre d’art dans l’espace urbain peut-elle être vecteur d’une communauté à venir, en devenir ?
Comment peut-elle échapper à l’effet décoratif dans l’espace de la consommation ou dans certains non-lieux?
Et pourrait-on remplacer le statut de spectateur de l’œuvre par celui d’usager ou d’utilisateur ?
Les œuvres installées dans l’espace urbain doivent-elles être pérennes ?4
Ce sont des
questions que se posent depuis longtemps certains artistes qui
interviennent dans l’espace urbain.
Krzysztof
Wodiczko avait décidé en 1988 de fabriquer ses « Homeless
Vehicle Project » pour les offrir aux SDF. En œuvrant pour
eux, il essayait de les rendre visibles dans une ville qui les
déniait. Les Critical
vehicles,
dont le fameux Homeless,
furent construits aux termes d’entretiens menés avec les SDF5.
Multifonctionnels, ils permettaient de transporter les biens, de se
laver et de dormir à l’abri. Introduits dans les rues de New York,
ils furent rapidement supprimés par les autorités qui
n’appréciaient pas de voir pareillement mis en évidence le
problème des sans-abri, qui n’en était alors qu’à ses débuts,
bien loin d’être ce phénomène endémique que nous connaissons
désormais. « The homeless vehicle project, » comme son
nom l’indique, était donc un projet, un processus, l’œuvre
n’était pas seulement l’objet, le véhicule, mais ses usages ;
usages qui qualifiaient sa fonction politique, "publique".6
L’œuvre fut ensuite exposée à Beaubourg, d’abord sur le parvis, puis elle gagna sagement une salle de musée. Plus question de projet désormais : les commissaires (et l’artiste) rabattirent le processus sur l’objet phénoménal, vidé de son effectuation politique. 7
L’œuvre fut ensuite exposée à Beaubourg, d’abord sur le parvis, puis elle gagna sagement une salle de musée. Plus question de projet désormais : les commissaires (et l’artiste) rabattirent le processus sur l’objet phénoménal, vidé de son effectuation politique. 7
Plus
récemment, Ettore Spalletti ou Bruno Carbonnet ont conçu et réalisé
des morgues, des espaces de deuil, respectivement pour l’hôpital
Raymond Poincaré à Garches et le Centre hospitalier des Hautes
Falaises de Fécamp8.
Ces œuvres ne sont pas visibles pour des spectateurs mais utilisées
par le personnel soignant et les personnes en deuil. Dans la morgue
de l’Hôpital Raymond Poincaré, après un certain usage du lieu,
le personnel soignant a ressenti le besoin d’ajouter des vases pour
qu’il y ait toujours des fleurs dans l’espace. Ettore Spalletti a
donc, après coup, dessiné et réalisé les vases qui répondaient à
cette nécessité.9
Ilana Isehayek, en collaboration avec l’architecte d’intérieur Édith Wildy, ont œuvré dans une maternité de Strasbourg en interrogeant la place du corps dans l’architecture. Là, encore l’œuvre n’est visible que dans son utilisation par les parturientes, le personnel soignant et les familles.10
Ilana Isehayek, en collaboration avec l’architecte d’intérieur Édith Wildy, ont œuvré dans une maternité de Strasbourg en interrogeant la place du corps dans l’architecture. Là, encore l’œuvre n’est visible que dans son utilisation par les parturientes, le personnel soignant et les familles.10
Thomas
Hirschhorn intervient dans la rue et construit des monuments,
autels ou kiosques dédiés à des écrivains, des philosophes ou des
artistes. Il vit sur place tout le temps que dure, (est montrée) son
œuvre. Les habitants sont impliqués dans la construction de l’œuvre
et dans les événements qui y sont organisés. Il a conçu en 2004
le Musée Précaire Albinet qui a fonctionné tout un été dans la
cité Albinet, quartier du Landy, d’Aubervilliers avec des œuvres
prêtées par le Centre Pompidou11.
Dans ses œuvres réalisées pour l’espace urbain qui ne sont pas
pérennes mais éphémères, Thomas Hirschhorn implique les habitants
le temps de l’événement, le temps d’une communauté à activer
et à vivre.
De nombreux collectifs cherchent à
rendre la rue aux habitants. Ainsi Reclaim The Streets est engagé
dans une contestation ludique de la privatisation de la rue par les
commerces, les voitures, la consommation. En 1994, ils organisent un
faux carambolage dans Londres, bloquant ainsi toute la circulation et
installent dans les plus brefs délais un café, une sono pour que
commence une fête. En 1996, ils occupent une autoroute du nord de
Londres et réussissent à y faire danser plus de 9000 personnes qui
attaquent aussi le bitume au marteau-piqueur pour replanter des
arbres. La fête et le carnaval deviennent des formes artistiques
participatives.
Notes
1
Marc Augé Non-lieux. Une anthropologie de la surmodernité,
Paris : Seuil, 1992
2
Hannah Arendt Vies politiques, (1967) Paris : Gallimard,
1971
3
Marc Augé idem
4 idem
5
Paul Ardenne Un art contextuel Paris : Flammarion, 2002
6
idem
7
idem
8 Bruno
Carbonnet, Espace de deuil, Semaine 36.06
9
Catia Riccaboni, Jean-Yves Bobe et Ettore Spalletti Entretiens,
DRAC Ile de France, 1996
10
http://www.chru-strasbourg.fr/Hus/HTML/pdf/culture/commande_publique.pdf
11
Thomas Hirschhorn Musée Précaire Albinet, Editions Xavier
Barral et Les Laboratoires d’Aubervilliers, 2004.
Bibliographie
Ardenne
Paul et Macel Christine Micropolitique,
Editions du Magasin, 2000
Ardenne Paul, Un Art contextuel, Flammarion, 2002
Arendt Hannah La condition de l’homme moderne (1958), Calmann-Lévy, 1983
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Bachelard
Gaston, La Poétique de l'espace,
P.U.F., 1957,
Bey
Hakim Zone
d'Autonomie Temporaire, TAZ,
Éditions de l'éclat, 1997Calvino
Italo, Les villes invisibles,
Éditions Seuil, 1972
Carbonnet Bruno Espace de deuil, Semaine 106, 2006
During Elie Faux raccords, la coexistence des images, Actes Sud, Villa Arson, 2010
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Eveno
Claude, Histoires d'espaces,
Sens et Tonka, 2011
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ville, Paris, José Corti, 1985
Grout Catherine, Le tramway de Strasbourg : Jonathan Borofsky, Gérard Collin-Thiébaut, Barbara Kruger, Mario Merz, L'Oulipo, Éditions du Regard,1995.
Grout Catherine Pour une réalité publique de l'art, l'Harmattan, 2000Koolhaas Rem, Junkspace - Repenser radicalement l'espace urbain, Payot, 2011 ; Lemoine Stépahnie et Terral Julien In situ : Un panorama de l'art urbain de 1975 à nos jours, Éditions Alternatives, 2005Lynch, Kevin, L’image de la Cité, Dunod, 1960
Lamarche-Vadel Gaëtane, La Gifle au goût public, et après..., La Différence, 2007
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